• La mise à mort “s'humanise” petit à petit (XIX ème) :

    • L'opinion de Victor Hugo par rapport à ce châtiment barbare. 

     _Le premier grand débat parlementaire sur la peine de mort a eu lieu à l’occasion de la discussion sur le projet du code pénal en 1791. L’exécution de Louis XVI donne lieu à de nombreux débats tant sur la portée politique et morale de cet acte que sur le fondement même de la peine de mort. La peine de mort fait partie des sujets de débats philosophiques et politiques à la fin du XVIIIème siècle. Cependant c’est la Révolution française et les excès de la Terreur qui favorisent l’émergence d’une réflexion sur la fonction de la justice dans la société, réflexion dépassant de loin le cercle des partisans de l’abolition de la peine de mort. Au XIXème, après l'Empire, le courant abolitionniste réapparaît.

    • • • •

     

    ___Toute sa vie, Victor Hugo s’est fait le défenseur de l’inviolabilité de la vie humaine à travers ses écrits, ses combats politiques mais également sa production artistique. La peine de mort a été très souvent traitée par Victor Hugo, en écho à des scènes dont il avait lui-même pu être témoin. Plusieurs romans, Le dernier jour d’un condamné (1829 et 1832), Claude Gueux (1834) se font directement ou indirectement les porte-voix de cet engagement. Plus tard, dans La Légende des siècles, il publie un long poème contre la peine de mort intitulé Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789L'échafaud. Hugo se positionne clairement contre la peine capitale avec de nombreuses interventions publiques et appels pour obtenir la grâce de certains condamnés (Armand Barbès, William Tapner, John Brown…). Dès le 3 février 1829, Le dernier jour d'un condamné fait réagir et Jules Janin critique l'oeuvre dans la Quotidienne, la présentant comme une longue agonie de trois cent pages et ne lui reconnaît aucune efficacité comme plaidoyer contre la peine de mort sous prétexte qu'un drame ne prouve rien. Désiré Nisard parle d'un livre inutile qui n'a pas fait avancer la cause qu'elle défend et reproche à Hugo ses gratuites horreurs. On traite alors le roman d'oeuvre d'imagination morbide aux ressources limitées.

    __Victor hugo, défendra son parti-pris d'anonymat concernant le condamné en le publiant dans sa préface du 24 février 1829. Pour lui, le livre se veut être  « une plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés» .

    __Cependant, d'autres auteurs prennent sa défense, Sainte Beuve écrit : « Jamais les fibres les plus déliées et les plus vibrantes de l'âme n'ont été à ce point mises à nu et à relief ; c'est comme une dissection à vif sur le cerveau d'un condamné».  

    __Alfred de Vigny lui, dans sa lettre du 9 février 1829, précise :  « C'est partout vous, toujours la couleur éclatante, toujours l'émotion profonde, toujours l'expression vraie pleinement satisfaisante, la poésie toujours».

    __Gustave Vapereau, dans son Dictionnaire universel des contemporains, signale que l'oeuvre fut finalement reconnue pour  « la force de la pensée et la profondeur de l'analyse».

    __C'est la longue préface de 1832 qui apportera à l'oeuvre la force d'argumentation dont on lui reprochait l'absence.

    __En 1848 quelques jours après la proclamation de la Seconde République, Hugo et d’autres représentants vont tenter d’obtenir l’abolition. La proposition de loi est rejetée (498 voix contre 216). Par contre, le même jour, l’abolition de la peine de mort en matière politique sera votée à la grande majorité. Ce principe sera ensuite garanti par la constitution de la Seconde République.


    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     __Au moment de la publication du « Dernier jour d’un condamné », il y avait en France 75 exécutions par an, soit une à peu près tous les cinq jours. Le dernier jour d’un condamné est publié anonymement en 1829, puis en 1832 avec la préface de l’auteur. En 1830, Lamartine, qui est aussi un écrivain engagé contre la peine de mort, après avoir été élu à l’Académie française, s’engage dans la vie politique et publie le poème «Contre la peine de mort». Les débats sur la peine de mort, la déposition de plusieurs pétitions abolitionnistes des années 1830-1838 et la participation des écrivains et des hommes politiques (Destutt de Tracy, Lafayette) ont permis la formulation des arguments, mais les statistiques judiciaires sont explicites - ce n’est que durant la seconde moitié du XIXème siècle que le nombre de condamnations et d’exécutions commence à baisser.

     • • • •

    _Certains événements vécus dans l’enfance - traumatiques ou non - ont profondément marqué la sensibilité d’Hugo face aux scènes de supplice et d’injustice. Il est fortement impressionné par la vision d’un condamné conduit à l’échafaud, sur une place de Burgos, puis, à l’adolescence, par les préparatifs du bourreau dressant la guillotine en place de Grève.(Petite parenthèse de la mise à mort publique interdite par Edouard Daladier le 24 Juin 1939.) L’horreur de mise en scène du supplice est monnaie courante dans la lettre que Victor Hugo écrit au pasteur Bost de Genève en 1862, il raconte qu’à seize ans, sur la place du palais de justice il vit une jeune femme «une voleuse» qu’un bourreau marquait au fer rouge sur son épaule dénudée :

     « Le fer et le poing du bourreau disparurent dans une fumée blanche. J’ai encore dans l’oreille, après plus de quarante ans, et j’aurai toujours dans l’âme, l’épouvantable cri de la suppliciée. Pour moi, c’était une voleuse, ce fut une martyre. »

    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     

    __Cest ainsi que très jeune, Hugo prend position contre la peine de mort dans ses romans de jeunesses dans lesquels on peut constater une préoccupation importante. Lorsqu’il écrit Le dernier jour d’un condamné, Hugo n’a que 27 ans et il déclare qu’il a eu l’idée du roman au lendemain de l’exécution de Ulbach, un garçon de dix-huit ans qui avait poignardé une fille du même âge par désespoir d’amour, décapité en place de Grève le 10 septembre 1827. Le dernier jour d’un condamné est un roman novateur, non seulement par son sujet, mais aussi par la forme et le mode de narration. Le condamné, homme sans nom, ni sans véritable identité est un véritable antihéros.


    _L’auteur ne dévoile pas la raison de la condamnation de l’homme, relatant par contre dans une langue concise son incarcération à travers un journal tenu par le condamné. La solitude devant la mort, mais aussi la violence réelle et symbolique du système judiciaire et carcéral sont transcrites d’une manière poignante. Victor Hugo transmet donc sa pensée à travers son personnage, et il espère ainsi pouvoir dénoncer cette horrible sentence qui laisse des blessures chez beaucoup de personnes.

    « Et puis, ce que j’écrirai ainsi ne sera peut être pas inutile. Ce journal de mes souffrances, heure par heure sera physiquement impossible de continuer, cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond enseignement ? »

    « N’y aura-t-il pas dans ce procès verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? »

     _Hugo fait écrire ses mémoires au personnage condamné de l’histoire, en faisant passer un message. L’idée est d’instruire le lecteur à travers le ressentit de ce condamné impuissant et désemparé.

       • • • •

    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

    __Le texte de Claude Gueux paraît pour la première fois dans La Revue de Paris du 6juillet 1834. Ce roman est inspiré en partie d’une histoire vraie, celle d’un homme poussé au crime par la misère. Le véritable Claude Gueux, né le 18 mai à Chassagne, en Côte-d’Or, est emprisonné à la prison centrale de Clairvaux entre 1823 et 1829, puis à nouveau entre 1830 et 1831 où il tue à coup de hache le gardien-chef Delacelle le 7 novembre 1831. Il est finalement guillotiné le 1er juin 1832. Victor Hugo écrivait la Préface du Dernier jour d’un condamné au moment où se jugeait l’affaire Claude Gueux. Il n’a sans doute pas manqué d’être frappé par la parenté entre son roman et les faits relatés à propos de ce procès.

     

    La rédaction du roman a lieu en deux étapes : la première version est achevée vers septembre 1832 et en 1834, Hugo reprend son texte afin de le développer. La version définitive sera publiée dans la Revue de Paris début juillet 1834, puis éditée en brochure en septembre de la même année.

     

     Le 29 Mai 1848, Victor Hugo s’écrit :

    « Toutes les questions qui intéressent le bien-être du peuple, la dignité du peuple, l’éducation due au peuple, ont occupé ma vie entière. Tenez, entrez dans le premier cabinet de lecteur venu, lisez quinze pages intitulées Claude Gueux, que je publiais il y a quatorze ans, en 1834, et vous y verrez ce que je suis pour le peuple, et ce que le peuple est pour moi. »

     __Dans cette histoire, Hugo dénonce l’exécution publique mais aussi la cruauté et l’inhumanité du peuple qui prend l’exécution comme un spectacle divertissant. 

    « On avait choisit ce jour-là pour l’exécution parce que c’était jour de marché ; afin qu’il eût le plus de regards possibles sur son passage, car il paraît qu’il y a encore en France des bourgades à demi-sauvages où, quand la société tue un homme, elle s’en vante. » 

    « Admirable effet des exécutions publiques ! Ce jour-là même, la machine étant encore debout au milieu d’eux et pas lavée, les gens du marché s’ameutèrent pour une question de tarif et faillirent massacrer un employé de l’octroi. Le doux peuple que vous font ces lois là ! » 

    « Nous avons cru devoir raconter en détail l’histoire de Claude Gueux, parce que, selon nous, tous les paragraphes de cette histoire pourraient servir de têtes de chapitre au livre où serait résolu le grand problème du peuple au XIXe siècle. Dans cette vie importante il y a deux phases principales, avant la chute, après la chute ; et sous ces deux phases, deux questions, questions de l’éducation, question de la pénalité ; et entre ces deux questions, la société tout entière. »

     « Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, cœur bien fait sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite qu’il finit par voler. La société le met dans une prison si mal faite qu’il finit par tuer. »

     _Hugo critique également la société de l’époque afin de montrer que les crimes commit peuvent être punit injustement. 

    « Messieurs, il se coupe trop de têtes par an en France. Puisque vous êtes en train de faire des économies, faites-en là-dessus. Puisque vous êtes en verve de suppressions, supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatre-vingts bourreaux, vous paierez six cents maîtres d’école. »

     « Songez au gros du peuple. Des écoles pour les enfants, des ateliers pour les hommes. Savez-vous que la France est un des pays de l’Europe où il y a le moins de natifs qui sachent lire ? Quoi ! la Suisse sait lire, la Belgique sait lire, le Danemark sait lire, la Grèce sait lire, l’Irlande sait lire, et la France ne sait pas lire ! C’est une honte. »

    • • • •

     __Finalement, Hugo fait appel à la honte du pays afin de faire réagir le peuple, et de montrer la misère dans laquelle il est. En effet, le premier de tous les combats de Victor Hugo – le plus long, le plus constant, le plus fervent - est sans doute celui qu’il mène contre la peine de mort. Hanté par ce "meurtre judiciaire", il va tenter toute sa vie d’infléchir l’opinion en décrivant l’horreur de l’exécution, sa barbarie, en démontrant l’injustice (les vrais coupables sont la misère et l’ignorance) et l’inefficacité du châtiment. Utilisant tour à tour sa notoriété d’écrivain et son statut d’homme politique, il met son éloquence au service de cette cause, à travers romans, poèmes, témoignages devant les tribunaux, plaidoiries, discours et votes à la Chambre des pairs, à l’Assemblée puis au Sénat, articles dans la presse européenne et lettres d’intervention en faveur de condamnés.

    __Au final, ses efforts finissent par payer, bien plus tard évidemment. On peut se rendre compte que Victor Hugo à eu de l’influence dans l’abolition de la peine capitale, lorsque l’on constate qu’il est cité dans le discours de Badinter, en 1981, pour justement donner du charisme et apporter des arguments aux propos de Robert Badinter.

    • • • •

    Lexique :

    La chambre des pairs : La Chambre des Pairs fut en France la Chambre haute du Parlement pendant les deux Restaurations, les Cent-jours et sous la monarchie de Juillet.

    L'Empire : Le Premier Empire est le régime instauré en France par Napoléon Bonaparte en 1804, pour remplacer le Consulat.

    Dictionnaire universel des contemporains : Le Dictionnaire universel des contemporains contient toutes les personnes notables de la France et des pays étrangers. C'est un ouvrage rédigé et continuellement tenu à jour avec le concours d'écrivains et de savants de tous les pays. Il y en a plusieurs éditions tout au long des années.

    « La mise à mort “s'humanise” petit à petit (XIX ème) :L'abolition de la peine de mort : »

    Tags Tags : , , , ,