• L'opinion de Victor Hugo par rapport à ce châtiment barbare. 

     _Le premier grand débat parlementaire sur la peine de mort a eu lieu à l’occasion de la discussion sur le projet du code pénal en 1791. L’exécution de Louis XVI donne lieu à de nombreux débats tant sur la portée politique et morale de cet acte que sur le fondement même de la peine de mort. La peine de mort fait partie des sujets de débats philosophiques et politiques à la fin du XVIIIème siècle. Cependant c’est la Révolution française et les excès de la Terreur qui favorisent l’émergence d’une réflexion sur la fonction de la justice dans la société, réflexion dépassant de loin le cercle des partisans de l’abolition de la peine de mort. Au XIXème, après l'Empire, le courant abolitionniste réapparaît.

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    ___Toute sa vie, Victor Hugo s’est fait le défenseur de l’inviolabilité de la vie humaine à travers ses écrits, ses combats politiques mais également sa production artistique. La peine de mort a été très souvent traitée par Victor Hugo, en écho à des scènes dont il avait lui-même pu être témoin. Plusieurs romans, Le dernier jour d’un condamné (1829 et 1832), Claude Gueux (1834) se font directement ou indirectement les porte-voix de cet engagement. Plus tard, dans La Légende des siècles, il publie un long poème contre la peine de mort intitulé Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789L'échafaud. Hugo se positionne clairement contre la peine capitale avec de nombreuses interventions publiques et appels pour obtenir la grâce de certains condamnés (Armand Barbès, William Tapner, John Brown…). Dès le 3 février 1829, Le dernier jour d'un condamné fait réagir et Jules Janin critique l'oeuvre dans la Quotidienne, la présentant comme une longue agonie de trois cent pages et ne lui reconnaît aucune efficacité comme plaidoyer contre la peine de mort sous prétexte qu'un drame ne prouve rien. Désiré Nisard parle d'un livre inutile qui n'a pas fait avancer la cause qu'elle défend et reproche à Hugo ses gratuites horreurs. On traite alors le roman d'oeuvre d'imagination morbide aux ressources limitées.

    __Victor hugo, défendra son parti-pris d'anonymat concernant le condamné en le publiant dans sa préface du 24 février 1829. Pour lui, le livre se veut être  « une plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés» .

    __Cependant, d'autres auteurs prennent sa défense, Sainte Beuve écrit : « Jamais les fibres les plus déliées et les plus vibrantes de l'âme n'ont été à ce point mises à nu et à relief ; c'est comme une dissection à vif sur le cerveau d'un condamné».  

    __Alfred de Vigny lui, dans sa lettre du 9 février 1829, précise :  « C'est partout vous, toujours la couleur éclatante, toujours l'émotion profonde, toujours l'expression vraie pleinement satisfaisante, la poésie toujours».

    __Gustave Vapereau, dans son Dictionnaire universel des contemporains, signale que l'oeuvre fut finalement reconnue pour  « la force de la pensée et la profondeur de l'analyse».

    __C'est la longue préface de 1832 qui apportera à l'oeuvre la force d'argumentation dont on lui reprochait l'absence.

    __En 1848 quelques jours après la proclamation de la Seconde République, Hugo et d’autres représentants vont tenter d’obtenir l’abolition. La proposition de loi est rejetée (498 voix contre 216). Par contre, le même jour, l’abolition de la peine de mort en matière politique sera votée à la grande majorité. Ce principe sera ensuite garanti par la constitution de la Seconde République.


    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     __Au moment de la publication du « Dernier jour d’un condamné », il y avait en France 75 exécutions par an, soit une à peu près tous les cinq jours. Le dernier jour d’un condamné est publié anonymement en 1829, puis en 1832 avec la préface de l’auteur. En 1830, Lamartine, qui est aussi un écrivain engagé contre la peine de mort, après avoir été élu à l’Académie française, s’engage dans la vie politique et publie le poème «Contre la peine de mort». Les débats sur la peine de mort, la déposition de plusieurs pétitions abolitionnistes des années 1830-1838 et la participation des écrivains et des hommes politiques (Destutt de Tracy, Lafayette) ont permis la formulation des arguments, mais les statistiques judiciaires sont explicites - ce n’est que durant la seconde moitié du XIXème siècle que le nombre de condamnations et d’exécutions commence à baisser.

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    _Certains événements vécus dans l’enfance - traumatiques ou non - ont profondément marqué la sensibilité d’Hugo face aux scènes de supplice et d’injustice. Il est fortement impressionné par la vision d’un condamné conduit à l’échafaud, sur une place de Burgos, puis, à l’adolescence, par les préparatifs du bourreau dressant la guillotine en place de Grève.(Petite parenthèse de la mise à mort publique interdite par Edouard Daladier le 24 Juin 1939.) L’horreur de mise en scène du supplice est monnaie courante dans la lettre que Victor Hugo écrit au pasteur Bost de Genève en 1862, il raconte qu’à seize ans, sur la place du palais de justice il vit une jeune femme «une voleuse» qu’un bourreau marquait au fer rouge sur son épaule dénudée :

     « Le fer et le poing du bourreau disparurent dans une fumée blanche. J’ai encore dans l’oreille, après plus de quarante ans, et j’aurai toujours dans l’âme, l’épouvantable cri de la suppliciée. Pour moi, c’était une voleuse, ce fut une martyre. »

    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     

    __Cest ainsi que très jeune, Hugo prend position contre la peine de mort dans ses romans de jeunesses dans lesquels on peut constater une préoccupation importante. Lorsqu’il écrit Le dernier jour d’un condamné, Hugo n’a que 27 ans et il déclare qu’il a eu l’idée du roman au lendemain de l’exécution de Ulbach, un garçon de dix-huit ans qui avait poignardé une fille du même âge par désespoir d’amour, décapité en place de Grève le 10 septembre 1827. Le dernier jour d’un condamné est un roman novateur, non seulement par son sujet, mais aussi par la forme et le mode de narration. Le condamné, homme sans nom, ni sans véritable identité est un véritable antihéros.


    _L’auteur ne dévoile pas la raison de la condamnation de l’homme, relatant par contre dans une langue concise son incarcération à travers un journal tenu par le condamné. La solitude devant la mort, mais aussi la violence réelle et symbolique du système judiciaire et carcéral sont transcrites d’une manière poignante. Victor Hugo transmet donc sa pensée à travers son personnage, et il espère ainsi pouvoir dénoncer cette horrible sentence qui laisse des blessures chez beaucoup de personnes.

    « Et puis, ce que j’écrirai ainsi ne sera peut être pas inutile. Ce journal de mes souffrances, heure par heure sera physiquement impossible de continuer, cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond enseignement ? »

    « N’y aura-t-il pas dans ce procès verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? »

     _Hugo fait écrire ses mémoires au personnage condamné de l’histoire, en faisant passer un message. L’idée est d’instruire le lecteur à travers le ressentit de ce condamné impuissant et désemparé.

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    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

    __Le texte de Claude Gueux paraît pour la première fois dans La Revue de Paris du 6juillet 1834. Ce roman est inspiré en partie d’une histoire vraie, celle d’un homme poussé au crime par la misère. Le véritable Claude Gueux, né le 18 mai à Chassagne, en Côte-d’Or, est emprisonné à la prison centrale de Clairvaux entre 1823 et 1829, puis à nouveau entre 1830 et 1831 où il tue à coup de hache le gardien-chef Delacelle le 7 novembre 1831. Il est finalement guillotiné le 1er juin 1832. Victor Hugo écrivait la Préface du Dernier jour d’un condamné au moment où se jugeait l’affaire Claude Gueux. Il n’a sans doute pas manqué d’être frappé par la parenté entre son roman et les faits relatés à propos de ce procès.

     

    La rédaction du roman a lieu en deux étapes : la première version est achevée vers septembre 1832 et en 1834, Hugo reprend son texte afin de le développer. La version définitive sera publiée dans la Revue de Paris début juillet 1834, puis éditée en brochure en septembre de la même année.

     

     Le 29 Mai 1848, Victor Hugo s’écrit :

    « Toutes les questions qui intéressent le bien-être du peuple, la dignité du peuple, l’éducation due au peuple, ont occupé ma vie entière. Tenez, entrez dans le premier cabinet de lecteur venu, lisez quinze pages intitulées Claude Gueux, que je publiais il y a quatorze ans, en 1834, et vous y verrez ce que je suis pour le peuple, et ce que le peuple est pour moi. »

     __Dans cette histoire, Hugo dénonce l’exécution publique mais aussi la cruauté et l’inhumanité du peuple qui prend l’exécution comme un spectacle divertissant. 

    « On avait choisit ce jour-là pour l’exécution parce que c’était jour de marché ; afin qu’il eût le plus de regards possibles sur son passage, car il paraît qu’il y a encore en France des bourgades à demi-sauvages où, quand la société tue un homme, elle s’en vante. » 

    « Admirable effet des exécutions publiques ! Ce jour-là même, la machine étant encore debout au milieu d’eux et pas lavée, les gens du marché s’ameutèrent pour une question de tarif et faillirent massacrer un employé de l’octroi. Le doux peuple que vous font ces lois là ! » 

    « Nous avons cru devoir raconter en détail l’histoire de Claude Gueux, parce que, selon nous, tous les paragraphes de cette histoire pourraient servir de têtes de chapitre au livre où serait résolu le grand problème du peuple au XIXe siècle. Dans cette vie importante il y a deux phases principales, avant la chute, après la chute ; et sous ces deux phases, deux questions, questions de l’éducation, question de la pénalité ; et entre ces deux questions, la société tout entière. »

     « Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, cœur bien fait sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite qu’il finit par voler. La société le met dans une prison si mal faite qu’il finit par tuer. »

     _Hugo critique également la société de l’époque afin de montrer que les crimes commit peuvent être punit injustement. 

    « Messieurs, il se coupe trop de têtes par an en France. Puisque vous êtes en train de faire des économies, faites-en là-dessus. Puisque vous êtes en verve de suppressions, supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatre-vingts bourreaux, vous paierez six cents maîtres d’école. »

     « Songez au gros du peuple. Des écoles pour les enfants, des ateliers pour les hommes. Savez-vous que la France est un des pays de l’Europe où il y a le moins de natifs qui sachent lire ? Quoi ! la Suisse sait lire, la Belgique sait lire, le Danemark sait lire, la Grèce sait lire, l’Irlande sait lire, et la France ne sait pas lire ! C’est une honte. »

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     __Finalement, Hugo fait appel à la honte du pays afin de faire réagir le peuple, et de montrer la misère dans laquelle il est. En effet, le premier de tous les combats de Victor Hugo – le plus long, le plus constant, le plus fervent - est sans doute celui qu’il mène contre la peine de mort. Hanté par ce "meurtre judiciaire", il va tenter toute sa vie d’infléchir l’opinion en décrivant l’horreur de l’exécution, sa barbarie, en démontrant l’injustice (les vrais coupables sont la misère et l’ignorance) et l’inefficacité du châtiment. Utilisant tour à tour sa notoriété d’écrivain et son statut d’homme politique, il met son éloquence au service de cette cause, à travers romans, poèmes, témoignages devant les tribunaux, plaidoiries, discours et votes à la Chambre des pairs, à l’Assemblée puis au Sénat, articles dans la presse européenne et lettres d’intervention en faveur de condamnés.

    __Au final, ses efforts finissent par payer, bien plus tard évidemment. On peut se rendre compte que Victor Hugo à eu de l’influence dans l’abolition de la peine capitale, lorsque l’on constate qu’il est cité dans le discours de Badinter, en 1981, pour justement donner du charisme et apporter des arguments aux propos de Robert Badinter.

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    Lexique :

    La chambre des pairs : La Chambre des Pairs fut en France la Chambre haute du Parlement pendant les deux Restaurations, les Cent-jours et sous la monarchie de Juillet.

    L'Empire : Le Premier Empire est le régime instauré en France par Napoléon Bonaparte en 1804, pour remplacer le Consulat.

    Dictionnaire universel des contemporains : Le Dictionnaire universel des contemporains contient toutes les personnes notables de la France et des pays étrangers. C'est un ouvrage rédigé et continuellement tenu à jour avec le concours d'écrivains et de savants de tous les pays. Il y en a plusieurs éditions tout au long des années.


    • Le discours de Badinter.

    __D1906 à 1939 les tentatives d'abolition de la peine capitale voient le jour. Elles échouent toutes, l'opinion publique y étant hostile. Ainsi, la Commission du budget de la Chambre des députés vote en 1906, la suppression des crédits pour le fonctionnement de la guillotine, ce vote vise à gripper la procédure d'exécution des condamnés.

     

    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

    À partir de 1906, le nouveau président de la République Armand Fallières , partisan de l'abolition de la peine de mort, va libèrer tous les condamnés à mort. L'année suivante, la grâce accordée à Soleilland, meurtrier d'une petite fille, est dénoncée par une forte campagne de presse et renforce le camp opposé à l'abolition.

    En 1908, Aristide Briand, garde des sceaux du gouvernement Georges Clemenceau, soumet aux députés un projet de loi visant à l'abolition. Malgré l'appui de Jean Jaures qui s'oppose à Maurice Barrès, ce projet est repoussé le 8 décembre par 330 voix contre 201. Les exécutions capitales reprennent dès 1909.

     Le 24 juin 1939, le président du Conseil Edouard Daladier promulgue un décret-loi abolissant les exécutions capitales publiques, après le scandale de l'exécution E. Weidman. Celles-ci devront se dérouler dans l'enceinte des prisons à l'abri des regards de la foule. L'affichage à l'entrée du lieu d'exécution, pendant une durée de vingt-quatre heures, de la copie du procès-verbal d'exécution du condamné, resta la seule publicité légalement autorisée.

     Entre 1940 et 1981 : 

      En 23 ans, 19 criminels de droit commun ont été guillotinés en France sous la Ve République (1958-1981). Ce chiffre n'incluant pas les 25 exécutions de criminels français du F.L.N. (Front de libération nationale)  condamnés à la guillotine par des tribunaux militaires sur le territoire français (1958-1961).

    Dans les années 1974-1977, les ministres de la justice et de l’intérieur, respectivement Jean Lecanuet et Michel Poniatowski se font de leur côté les porte-voix de l'opinion publique en faveur de la peine de mort, en particulier durant l'affaire Patrick Henry. Patrick Henry est le meurtrier de Philippe Bertrand, alors âgé de huit ans. Il est connu pour avoir échappé à la peine de mort après une plaidoirie de Robert Badinter contre la peine capitale, malgré une opinion publique majoritairement favorable à son exécution.

    Après 1981 :

      De 1984 à 1995, vingt sept propositions de loi visant à rétablir la peine de mort sont déposées au Parlement.

    Aujourd'hui, bien que plusieurs responsables politiques français se déclarent en faveur de la peine de mort (comme Jean-Marie Le Pen, Charles Pasqua et Philippe De Villiers), son rétablissement ne serait pas possible sans rejeter plusieurs traités internationaux.

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    Le discours :

    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     

    __Robert Badinter garde des sceaux, ministre de la défense a prononcé son discours à l'Assemblée nationale, le 17 septembre 1981. Lors de ce discours, il exprime son opinion sur l’exécution et pourquoi il faudrait l’interdire. Après avoir lutté une grande partie de sa vie en faveur de l'abolition de la peine de mort où son combat à véritablement commencé après l’exécution à la guillotine de Roger Bomtens, la loi est voté par référendum le 18 septembre 1981. Ses arguments, fondés et précis, ne laisse pas l’assemblée indifférente, laquelle accorde l’abolition à 363 voix contre 117. Douze jours plus tard, le texte est voté dans les mêmes conditions par le Sénat.

     

     _Badinter fait appel à beaucoup de sentiments pour sensibiliser l’assemblée telle que la honte et la crainte. Mais il ne fait pas que persuader, et par des exemples censés, il arrive à convaincre d’interdire l’exécution à la majorité.

    « Raymond Forni a eu raison de souligner qu'une longue marche s'achève aujourd'hui. Près de deux siècles se sont écoulés depuis que dans la première assemblée parlementaire qu'ait connue la France, Le Pelletier de Saint-Fargeau demandait l'abolition de la peine capitale. C'était en 1791. »

    Comme le cite Badinter ci-dessus, d’autres bien avant lui avait déjà essayé d’abolir la peine de mort, sans résultat.

    « Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d'efforts courageux, l'un des derniers pays, presque le dernier - et je baisse la voix pour le dire - en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort. »

    Tout d’abord, Badinter fait appelle à la honte de l’assemblée en citant la France, qui bien souvent est le sommet des décisions.

    « Vous avez, fort justement, monsieur Forni, rappelé Hugo, j'y ajouterai, parmi les écrivains, Camus. Comment, dans cette enceinte, ne pas penser aussi à Gambetta, à Clemenceau et surtout au grand Jaurès ? Tous se sont levés. Tous ont soutenu la cause de l'abolition. Alors pourquoi le silence a-t-il persisté et pourquoi n'avons-nous pas aboli ? »

    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     

    __Nous l’avons montré précédemment, un grand nombre d’auteurs célèbres ont tenté  la même chose que Badinter, et ce dernier leur rend hommage dans son discours afin de rappeler qu’il n’était pas seul à vouloir abolir la peine capitale et que ces hommes connus n’ont pas eu la chance de voir leur projet aboutir. Lorsque Robert Badinter, très ému, prend la parole à l'Assemblée Nationale pour demander l'abolition de la peine de mort, il se souviendra de Victor Hugo, et le citera dans son discours parmi quelques autres.

    « Attendre, après deux cents ans ! Attendre, comme si la peine de mort ou la guillotine était un fruit qu'on devrait laisser mûrir avant de le cueillir ! Attendre ? Nous savons bien en vérité que la cause était la crainte de l'opinion publique. D'ailleurs, certains vous diront, mesdames, messieurs les députés, qu'en votant l'abolition vous méconnaîtriez les règles de la démocratie parce que vous ignoreriez l'opinion publique. Il n'en est rien. »

    Après avoir fait appel à la honte, il dénonce l’absurdité d’une telle peine, après tant d’exécutions.

    « Rien n'a été fait pendant les années écoulées pour éclairer cette opinion publique. Au contraire ! On a refusé l'expérience des pays abolitionnistes ; on ne s'est jamais interrogé sur le fait essentiel que les grandes démocraties occidentales, nos proches, nos sœurs, nos voisines, pouvaient vivre sans la peine de mort. On a négligé les études conduites par toutes les grandes organisations internationales, tels le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, les Nations unies elles-mêmes dans le cadre du comité d'études contre le crime. On a occulté leurs constantes conclusions. Il n'a jamais, jamais été établi une corrélation quelconque entre la présence ou l'absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante. On a, par contre, au lieu de révéler et de souligner ces évidences, entretenu l'angoisse, stimulé la peur, favorisé la confusion. »

    Ensuite, il site l’exemple des pays voisins qui eux, ont abolit la peine de mort et critique le fait que l’information ait été bloquée pour éviter d’influencer la France à vouloir faire pareil.

    « En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles. Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n'auriez ni grands soldats, ni grands sportifs. »

     A présent, il expose un argument qui montre a quel point cette peine est inutile sans l’efficacité de dissuasion des crimes. La mort ne fait pas peur, il le prouve bien dans sa phrase. Il y a des familles, des personnes, qui n’ont plus rien à perdre et qui sont assez courageux pour encore commettre des crimes.

    « La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien qu'elle procède de l'idée que l'Etat a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie. C'est par là que la peine de mort s'inscrit dans les systèmes totalitaires. »

    « Douze personnes, dans une démocratie, qui ont le droit de dire : celui-là doit vivre, celui-là doit mourir ! Je le dis : cette conception de la justice ne peut être celle des pays de liberté, précisément pour ce qu'elle comporte de signification totalitaire. »

    Autre argument, le principe de retirer la vie à quelqu’un est contraire au régime démocratique et à la liberté du citoyen.

    « Et je ne parle pas seulement de l'erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent et qu'une société entière - c'est-à-dire nous tous - au nom de laquelle le verdict a été rendu, devient ainsi collectivement coupable puisque sa justice rend possible l'injustice suprême. Je parle aussi de l'incertitude et de la contradiction des décisions rendues qui font que les mêmes accusés, condamnés à mort une première fois, dont la condamnation est cassée pour vice de forme, sont de nouveau jugés et, bien qu'il s'agisse des mêmes faits, échappent, cette fois-ci, à la mort, comme si, en justice, la vie d'un homme se jouait au hasard d'une erreur de plume d'un greffier. »

     De plus, Badinter énonce le fait qu’un condamné soit au final innocent et critique ainsi le hasard d’un mauvais jugement. Il suscite donc la pitié de l’assemblée.

    « Le choix qui s'offre à vos consciences est donc clair : ou notre société refuse une justice qui tue et accepte d'assumer, au nom de ses valeurs fondamentales - celles qui l'ont faite grande et respectée entre toutes - la vie de ceux qui font horreur, déments ou criminels ou les deux à la fois, et c'est le choix de l'abolition ; ou cette société croit, en dépit de l'expérience des siècles, faire disparaître le crime avec le criminel, et c'est l'élimination. »

    Finalement, il prononce sa requête, en mettant bien en valeur le côté abolition.

    « Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. »

     Sa conclusion est évidente, il s’adresse à l’assemblée comme si la peine capitale avait déjà été abolie, pensant sûrement donner l’impression au peuple qu’il n’a pas le choix.

     __Le discours de Badinter est très structuré, et il dénonce principalement trois choses afin de toucher l’assemblée : la faillibilité de l'humain, faillibilité de la justice par ses sentiments et changements des droits et des lois selon l'époque, et la loterie de la justice, le verdict peut être un pur hasard de chance ou de malchance.

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    C’est ainsi que la peine de mort fut abolit ce lendemain de 17 septembre 1981 après tant d’années de combats, d’exécutions et de destructions au fil des siècles, allant de la torture, au spectacle de la mort, et à l’exécution dissimulée, pour enfin mettre fin à ce cauchemar.

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    Lexique :

     La chambre des députés : La Chambre des députés est le nom de l'organe législatif donné à la chambre basse dans un système législatif bicaméral, ou de la législature dans le système unicaméral. Elle permet aux députés de voter les lois, confronter leurs idées et de débattre entre eux.

    Le front de libération nationale Les Fronts de libération nationale ou FLN désignent de nombreux mouvements indépendantistes.

     L'Assemblée Nationale : Depuis la mise en place de la Cinquième République française, l’Assemblée nationale fait partie, avec le Sénat, du Parlement. Son rôle est de discuter et de voter les lois. Elle a, contrairement au Sénat, le pouvoir de renverser le Gouvernement, ce qui implique que celui-ci ne peut être en désaccord avec elle.


    • Le rôle des écrivains comme Koestler ou Camus.

     

    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     

     

        Le combat des auteurs abolitionnistes aura eu une influence, sur l'abolition de la peine de mort. Certains, célèbres, tel que Victor Hugo, Albert Camus, Gilles Perrault et Voltaire on tous tentés de faire réagir le peuple par leurs écrits. Chacun d’eux, respectivement dans leurs époques ont dénoncé la peine capitale, à travers les horreurs de chaque temps.

        Par exemple, Victor Hugo dans Le dernier jour d’un condamné, dénonçait le spectacle de la mise à mort, ayant été choqué dans son enfance par une exécution publique. Il a voulu mettre en avant la psychologie d'un condamné et la façon dont il peut être traité après sa condamnation à mort. Il écrit ce livre et mène ce combat contre la peine de mort  après avoir assister à beaucoup de condamnations sur la place publique. Finalement, Victor Hugo sera considéré comme un farouche abolitionniste et passera son temps à montrer que cette sanction est cruelle et n'est  pas forcément fiable en cas d'accusation à tort.


    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     

     

    __Albert Camus lui, dans Réflexion sur la peine capitaledénonce une pratique barbare et inhumaine. Il évoquera un douloureux souvenir d'enfance : son père qu'il n'a pas connu était très remonté contre un criminel qui avait été condamné à la potence. Ce livre se composait de deux essais : Réflexions sur la pendaison, par Arthur Koestler ; Réflexions sur la guillotine, par Albert Camus. Deux textes qui étaient contre la peine de mort. Ils étaient complétés par une introduction et une étude de Jean Bloch-Michel. Avant d'écrire, Camus  se livre à une enquête très complète. Il étudie des textes juridiques, historiques, des rapports de médecins. Camus passe en revue les arguments traditionnels des abolitionnistes. La peine de mort, telle qu'elle est pratiquée hors de la présence du public, à l'intérieur des prisons, à la sauvette pour ainsi dire, perd son caractère exemplaire et dissuasif.

     

    "L’Etat n’a pas le droit de juger en dernier ressort du destin ultime de la personne humaine. [...] Au fond de chaque homme civilisé se tapit un petit homme de l’âge de pierre, prêt au vol et au viol, et qui réclame à grands cris un oeil pour un oeil. Mais il vaudrait mieux que ce ne fût pas ce petit personnage habillé de peaux de bêtes qui inspirât la loi de notre pays."

    " Des peines de mort furent prononcés contre des enfants jusqu' en 1833. En 1801 , Andreau Brenning âgé de treize ans , fut pendu en public pour être introduit par effraction dans une maison et avoir volé une cuillére. En 1779, plus que 10 personnes en moyenne seront exécutées. "

    "De tels sondages ne peuvent plus être exécutés en France, à cause du secret qui entoure les exécutions. Mais ils autorisent à penser qu'il devrait y avoir autour de mon père, le jour de l'exécution, un assez grand nombre de futurs criminels qui eux, n'ont pas vomi." 


     Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

     

      _Quand à Gilles Perrault, dans son livre Le pull over rouge, a montré que le système judiciaire avait des failles qui ne le laissaient pas à l'abri d'une erreur irréversible. Il s'appuie essentiellement sur le doute qui plante sur la mise à mort de Christian Ranucci le 28 Juillet 1976 à Marseille considéré comme une des plus grandes erreurs judiciaires du XXème siècle. L'affaire Ranucci a passionné l'opinion publique et les médias pour de multiples raisons. Elle est arrivée à un moment où le débat sur la peine de mort était à son apogée après l'exécution de Buffet et de Bontemps en 1972 pour une prise d'otages meurtrière à la prison centrale de Clairvaux. Il est le premier condamné à mort guillotiné sous le  septennat de Valéry Giscard D'Estaing.

     

     

     

    " Un jury d'assisses risque de trouver peu de poids a des présomptions auxquelles s'opposerait le fait massif qu'après Jean Rambla et Eugène Spinelli, Alain et Aline Aubert n'ont pas identifié l'accusé. Si Christian Ranucci n'est pas l'homme qui a enlevé Marie Dolorès et s'il n'est pas davantage celui qui a pris la fuite en portant "un paquet assez volumineux" que reste-t-il des certitudes policières proclamées depuis la veille et diffuséé dans tout le pays par la presse écrite et audio-visuelle. "

    " Le bourreau fixa le harnais avec un claquement sec tandis qu'un aide, placé de l'autre côté de la machine, abattait le tranchant de sa main sur la nuque de Christian. Puis le bourreau appuya du pouce sur un bouton et le couperet tomba. Il était quatre heures treize. La tête coupée rebondit deux fois. "


         C’est Voltaire qui rend L’affaire Calas célèbre, en révélant le traitement, à l'époque, d'un suspect, accusé sans l'appui d'un avocat où une hiérarchie des preuves, le secret de l'instruction et une procédure inquisitoriale transforment le suspect en victime expiatoire. L’idée est que le système judiciaire exécute sans forcément avoir de preuve et fait parfois des erreurs en tuant des innocents. Il faut retenir, que malgré leurs différentes raisons de vouloir abolir la peine de mort, ces auteurs ont joué un véritable rôle au fil des siècles, pour enfin en arriver au discours de Badinter qui lui, a été efficace. Son efficacité s’est basée principalement sur la présence d’auteurs abolitionnistes dans ses propos, ce qui a contribué à mettre du poids.

         C'est en s'appuyant sur des œuvres littéraires, des articles de journaux, des poèmes et des discours qu'Albert Camus, Gilles Perrault, Victor Hugo ou encore Voltaire, auront contribué à l'abolition de la peine de mort en France. S’il n’y avait pas eu autant d’auteurs à chaque siècle afin de dénoncer ce châtiment, la peine de mort serait encore maintenue aujourd’hui en France comme dans tellement d’autres pays.


  • __En France, jusqu'en 800 la peine de mort était considérée comme une peine évitant la vengeance, par des lois on faisait en sorte que la paix soit assurée, c'est à partir du XVIIème que la barbarie de ce châtiment évolua pour finir en acte violent et choquant. C'est à partir du moment où l'État fit démonstration de son pouvoir que la peine capitale prit une autre tournure, provoquant dès lors l'apparition de moyens d'exécutions très répressifs et violents, aboutissant à la mise en vigueur de la guillotine. L'apparition de cette machine provoqua dans l'esprit du peuple une réelle réflexion sur ce droit de supprimer la vie. Une foule d'auteurs, à pensée abolitionnistes ou non, va peu à peu faire part de leur opinions à travers leur écrits. L'Affaire Calas est l'un des plus célèbres procès c'est pour cela que nous l'avons traité afin d'avoir un exemple sur la manière d'écriture d'un auteur désireux de faire changer les idéaux. Ce combat contre la peine de mort fut long, même si pour chaque siècle nous pouvons voir une certaine évolution, comme la manière dont elle va s'humaniser. On va lui enlever toute fonctionnalité publique, à partir du XIXème siècle l'État ne cherche plus à choquer pour dissuader mais à se servir du modèle carcéral pour punir.


    Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

    _______Ecartelement ____________ Décapitation_________________Injection intraveineuse 

    __Victor Hugo était un grand écrivain, l'un des principaux à défendre ses idées face à la peine de mort en dénonçant avant tout la mise à mort publique, et la société en elle même. On a pu analyser ses œuvres littéraires célèbres afin de le démontrer. Il s'est révélé plus tard que c'était un auteur visionnaire de son siècle.  Grâce à cela, les exécutions ont été cachées au peuple depuis le XXème siècle. Ensuite, dans son siècle respectif, il y eut Robert Badinter, qui prononça un discours en 1981, visant à abolir la peine de mort. Ce fut le premier à y arriver parmi tout ceux avant lui qui ont essayé tels que : l'ancien président de la République de 1906 Armand de Fallières, et Aristide Briand en 1908.. Malgré tout, c'est grâce à des auteurs tels que cités précédemment, que le ministre de la défense pu avoir un certain poids lors de son discours. Sans la réflexion d'auteurs comme Victor Hugo, ou encore Voltaire et d'autres, le discours aurait été sans effet. Nous avons essayé de démontrer que si Robert Badinter avait été le seul a vouloir abolir la peine capitale, celle ci serait encore maintenue aujourd'hui. Au XXème siècle, avant Robert Badinter, il y eut Arthur Koestler et Albert Camus qui eux aussi écrivirent un livre afin de donner leur propre avis face à la peine de mort. Chacun d'eux avait une raison de vouloir abolir ce châtiment, et ce sont ces raisons, différentes les une des autres qui ont apporté un poids en plus dans la démarche de cette abolition.

     Le spectacle de la mise à mort jusqu'en 1789

    __Malgré tout, la peine de mort est toujours d’actualité, et même si elle a été abolit en France, beaucoup se posent encore la question de rétablir cette condamnation. De nombreux pays ont décidé de garder l’exécution, préférant se fier à l’opinion publique qui elle, est plutôt majoritairement favorable. De nos jours, les peines prononcées servent à punir le coupable, mais elles sont doublées d’une volonté de préparer le condamné à sa réinsertion dans la société après une période de réadaptation. Ce qui n'a malheuresement pas changé ce sont les erreurs judicaires, encore aujourd'hui malgré les nouvelles techniques de recherches (ADN, etc..) on peut trouver des failles dans ce système. Par exemple, pour l'Affaire Patrick de Dils en 1987, la peine de mort n'était déjà plus en vigeur et heureusement puisque l'on a prouvé son innocence après qunize années d'incacération. 

     

    __La question que nous nous sommes finalement posée, est la manière dont les auteurs anticipent sur les événements de la peine de mort. On peut éventuellement soulever le fait que les écrivains sont en partie visionnaires et écrivent des fictions étant très proche de la vérité. Les écrivains seraient donc en avance sur leur temps lorsqu’ils contestent certains faits. Par exemple, Orwell dans « 1984 ». Cette œuvre est considérée comme une référence du roman d’anticipation et de la contre-utopie.